RDC : le remaniement, un vrai casse-tête kinois

Jeune Afrique.com

Par Pierre Boisselet
 
Joseph Kabila délègue de moins en mons et réfléchit de plus en plus.
Joseph Kabila délègue de moins en moins et réfléchit de plus en plus. © Noor Khamis / Reuters

Il y a neuf mois, le président annonçait la formation d’un gouvernement d’ouverture. Depuis, le monde politique et les milieux économiques sont suspendus à sa décision. Manifestement, Joseph Kabila a quelques raisons de prendre son temps.

On ne sait où Joseph Kabila se trouvait dans l’après-midi du 22 juillet. Mais les coups de feu, qui ont fait sursauter tout Kinshasa, n’ont pu laisser le chef de l’État indifférent. Le camp militaire Tshatshi, qui abrite la garde républicaine, était pris d’assaut pour la deuxième fois en moins d’un an.

Le 30 décembre 2013, dans la capitale congolaise, l’aéroport de Ndjili et le siège de la Radio-Télévision nationale congolaise (RTNC) avaient aussi été investis par un groupe d’hommes munis d’armes blanches et tout aussi mal organisés que ceux du 22 juillet. La réaction de l’armée congolaise, sur les dents, a été la même dans les deux cas : rapide, impitoyable et brutale (sept morts le 22 juillet, six assaillants et un officier). Et rappelle, si cela était nécessaire, la fébrilité qui règne dans le pays.

Kabila dans une solitude inédite

À Kinshasa, cela fait plusieurs mois que les autorités s’inquiètent des risques sécuritaires. En particulier depuis le début des opérations d’expulsions décidées par Brazzaville en avril. Plus de 200 000 Congolais aux opinions et aux intentions mal connues ont traversé le fleuve, et sont venus gonfler le flot d’incertitudes.

Par ailleurs, si la rébellion du Mouvement du 23-Mars (M23) a été défaite en novembre 2013, le fief des Kabila, dans le nord de la province du Katanga, est toujours déstabilisé par les milices autonomistes. Si bien que le président a dû se rendre en personne à Lubumbashi pour tenter d’apaiser les craintes de ceux qui s’estiment injustement marginalisés.

Comme le président ne délègue plus, explique un observateur, un goulot d’étranglement s’est formé et la prise de décision s’est ralentie.

C’est donc un Joseph Kabila préoccupé par de multiples dossiers qui gouverne la vaste République démocratique du Congo. D’autant qu’il doit assumer cette tâche dans une solitude inédite, depuis la mort dans un accident d’avion, en février 2012, du plus proche de ses conseillers, Augustin Katumba Mwanke.

Bien sûr, le président consulte des membres de confiance de son entourage. Parmi eux, sa soeur Jaynet, députée, son ambassadeur itinérant, Séraphin Ngwej, ou encore son ambassadeur à Kigali, Norbert Nkulu, qui passe le plus clair de son temps à Kinshasa, en dépit de ses attributions. Mais aucun n’a acquis l’influence de l’ancienne « éminence grise » de Kabila, qui agissait avec une large autonomie. « Comme le président ne délègue plus, explique un observateur, un goulot d’étranglement s’est formé et la prise de décision s’est ralentie. »

S’il est un dossier qui illustre cette quasi-paralysie, c’est celui de la formation du gouvernement dit de « cohésion nationale ». Annoncée dans le discours présidentiel du 23 octobre 2013, elle se fait toujours attendre. Et cela fait donc plus de neuf mois que le monde politique congolais est tout entier suspendu à ce remaniement. Neuf mois pendant lesquels moult conseillers en tous genres ont cru pouvoir annoncer l’identité du prochain Premier ministre ou la date de sa nomination. Neuf mois que des hommes politiques venus des quatre coins du pays séjournent dans des hôtels de la capitale, espérant ainsi pouvoir mieux plaider leur cause.

Démission de tous les membres du gouvernement

Cette attente, d’une longueur elle aussi inédite, fait le bonheur de quelques hôteliers, mais est en revanche nuisible à l’économie. « En ce moment, les investisseurs étrangers préfèrent attendre, constate un diplomate européen. Ils savent que leurs interlocuteurs dans les ministères ne vont peut-être pas rester en poste très longtemps. Ils savent aussi que la continuité de l’État est encore loin d’être une réalité en RD Congo. »

Quant au gouvernement, il s’est trouvé entravé, dès le mois de novembre, par la consigne de se contenter d’expédier les affaires courantes donnée par le Premier ministre, Augustin Matata Ponyo. Ce dernier avait alors remis la démission de tous les membres de son gouvernement. « C’était une décision de pure forme qui n’a pas été véritablement appliquée », minimise aujourd’hui un conseiller à la primature. En réalité, le chef de l’État n’a guère apprécié cette initiative, interprétée comme une manière de précipiter sa décision. Peut-être Matata, qui jouit d’une certaine popularité, y compris chez les bailleurs de fonds étrangers, a-t-il cru pouvoir pousser son avantage pour être rapidement reconduit.

Erreur. Pour le président, il était urgent d’attendre et de garder toutes les options ouvertes. Conséquence : c’est à une véritable guerre des « premier-ministrables » (plus ou moins autoproclamés) qu’ont assisté les Congolais, parfois médusés, ces derniers mois. Et c’est bien sûr Augustin Matata Ponyo, tenant du titre, qui s’est retrouvé au centre des attaques.

Il y a par exemple eu cette charge d’Albert Yuma Mulimbi, le président de la Fédération des entreprises du Congo – qui, dit-on, est intéressé par le poste. Ce dernier, Katangais, patron, entre autres, de la Gécamines et réputé proche du président, avait sévèrement critiqué la politique de la primature dans un discours prononcé en janvier dernier, allant jusqu’à considérer comme faux les chiffres officiels de la croissance. « Cette attaque est inadmissible ! Elle nuit à l’intérêt du pays en remettant en question notre crédibilité, s’énervait-on à la primature. Nous avons été obligés de réagir par un communiqué. »

Sur la défensive, le Premier ministre a aussi sévi contre le vice-Premier ministre chargé du Budget, Daniel Mukoko Samba. Alors que le nom de ce dernier circulait comme pouvant être un prétendant sérieux pour le poste, Matata Ponyo l’a suspendu des réunions de son cercle rapproché…

Et puis il y a eu ces étranges fuites dans les médias, accusant le ministère des Finances d’avoir ouvert illégalement des comptes, abondés par des fonds publics, dans des banques privées. Derrière le ministre Patrice Kitebi, c’est bien le Premier ministre qui était visé. Une enquête parlementaire avait alors été ouverte par le Sénat, présidé par… Léon Kengo wa Dondo.

À 79 ans, ce vieux briscard de la politique congolaise se verrait bien retrouver une troisième et dernière fois la primature (il a été deux fois Premier ministre sous Mobutu). Kengo wa Dondo avait annoncé, avant le président lui-même, la constitution de ce gouvernement de cohésion nationale. Et il a consulté pendant plusieurs semaines pour former une équipe incluant des ministres issus de l’opposition. Avait-il mandat pour le faire ? Et sinon, le président en a-t-il pris ombrage ?

Une tacite reconduction du gouvernement actuel

L’option d’un gouvernement de large ouverture, qui fut longtemps évoquée, paraît en tout cas incertaine aujourd’hui. D’autant que les plus gros poissons de l’opposition se sont pour l’instant tenus à l’écart. Selon un membre bien informé de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS, principal parti d’opposition), des émissaires sont entrés en contact avec la famille du leader du parti, Étienne Tshisekedi (notamment avec sa femme, Marthe), pour proposer un poste à son fils Félix. Mais une déclaration cosignée par celui-là mi-juillet appelant la Cour pénale internationale (CPI) à juger Joseph Kabila démontre que les contacts ont fait long feu.

Quant au Mouvement de libération du Congo (MLC) de Jean-Pierre Bemba, toujours détenu par la CPI, il paraît durablement affaibli et ne présente plus le même intérêt pour le pouvoir. Surtout depuis l’arrestation de quatre proches de l’opposant, qui a conduit à de nouvelles charges pour « subornation de témoin ».

Dans l’entourage du Premier ministre, certains estiment même qu’il faut interpréter le silence présidentiel comme une tacite reconduction du gouvernement actuel. Il est vrai que dans son discours du 30 juin, le président annonçait dans une belle litote qu’il allait s’y prendre « avec méthode mais en évitant toute précipitation ». Comprendre : l’agitation ne paiera pas, et le président prendra tout le temps qu’il estime encore nécessaire pour résoudre son casse-tête.

« Depuis l’annonce de ce gouvernement de cohésion nationale en octobre 2013, la situation a changé, analyse le chercheur américain Jason Stearns. À l’époque, il fallait donner de l’espoir à une opposition encore très remontée par les élections contestées de 2011 et rassembler le pays pour gagner la guerre dans l’Est. Aujourd’hui, les discussions continuent pour former ce nouveau gouvernement, mais Kabila n’a plus autant de pression pour les faire aboutir rapidement. »


Gardes républicains à l’entrée du camp militaire Tshatshi, après son attaque
par un groupe armé (le 22 juillet à Kinshasa). © Junior D. Kannah/AFP

Les scénarios sont nombreux

Surtout, entre-temps, l’approche de l’échéance de 2016, qui devrait être sa dernière année au pouvoir en vertu de la Constitution, est devenue le sujet de préoccupation majeure. La question se pose avec d’autant plus d’acuité que Washington exerce une pression de plus en plus importante sur le sujet (lire encadré).

Les scénarios possibles sont encore nombreux. Tenter une révision parlementaire ? organiser un référendum constitutionnel ? laisser le processus électoral s’enliser pour repousser la présidentielle et gagner du temps ? ou désigner un dauphin et se retirer en 2016, avant, peut-être, de se représenter cinq ans plus tard ? De la stratégie de Joseph Kabila pour aborder cette échéance cruciale dépendra très certainement la composition du prochain gouvernement.

>> À lire aussi : l’interview d’Aubin Minaku : « Kabila respectera la Constitution »

« On ne sait pas quelles sont ses intentions, confie un cadre proche de l’exécutif. Mais s’il veut rester au pouvoir au-delà de 2016, il aura besoin d’un chef de gouvernement très politique et manoeuvrier, avec une équipe élargie, pour coopter certains opposants. »

S’il décide de quitter la présidence, peut-être le chef de l’État décidera-t-il de préparer dès maintenant un successeur. La composition du futur gouvernement donnera donc des clés pour comprendre ses intentions. Visiblement, Joseph Kabila n’est pas encore arrivé au bout de sa réflexion. Comme il l’a répondu au quotidien belge Le Soir, qui récemment lui demandait une interview : « Le meilleur des discours, c’est le silence. »

Washington maintient la pression

Joseph Kabila ne prise pas particulièrement les longs déplacements à l’étranger. Mais c’est lui qui devrait être présent à Washington pour le sommet États-Unis – Afrique, du 4 au 6 août. Il ne rencontrera cependant pas Barack Obama en tête à tête (le président américain a prévu de s’adresser aux chefs d’État du continent collectivement), mais les faits et gestes des deux hommes seront scrutés avec attention par la presse congolaise.

Car depuis plusieurs mois, les États-Unis se montrent très attentifs à ce qui se passe à Kinshasa, en particulier à l’éventualité d’une révision constitutionnelle qui permettrait au président de se représenter pour un nouveau mandat. On ne compte plus les déclarations en ce sens de Russell Feingold, l’envoyé spécial des États-Unis dans la région des Grands Lacs. Ce message avait été porté par le secrétaire d’État américain, John Kerry, lors de son passage à Kinshasa en mai. Depuis, un texte signé par Barack Obama lui-même s’est montré encore plus ferme et explicite.

Dans un executive order (sorte de décret ayant force de loi) intitulé « À propos de la République démocratique du Congo », publié le 8 juillet dernier par la Maison Blanche, le président américain a modifié les motifs pouvant provoquer des sanctions américaines, à commencer par le gel des avoirs présents sur le sol des États-Unis. Le texte, qui semble rédigé sur mesure pour tenter de dissuader tous ceux qui seraient tentés de déverrouiller la limitation constitutionnelle du nombre de mandats successifs, cite notamment tous les « responsables ou complices […] d’actions ou politiques qui nuisent au processus démocratique ou aux institutions de la République démocratique du Congo ». Difficile d’être plus clair.

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